Droits humains et droits des femmes en temps de Covid-19

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Texte d’opinion rédigé par Mireille Elchacar, Professeure de linguistique à la Téluq

Coordonnatrice Arabie saoudite et Pays du Golfe, Amnistie internationale Canada francophone

 

Les circonstances exceptionnelles que nous vivons ont des répercussions sur chacun et chacune d’entre nous. Toutefois, nous ne sommes pas toutes et tous égaux face à la crise. Comment assurer une quelconque protection face au virus aux réfugiés entassés dans des camps? Comment protéger les femmes confinées avec un conjoint violent, ici et ailleurs?

S’il est primordial de se conformer aux directives de la santé publique, il ne faut pas baisser la garde en ce qui concerne les droits fondamentaux. Comme c’est malheureusement trop souvent le cas, ce sont les plus vulnérables et les femmes qui en font les frais.

Plusieurs organisations internationales de droits de la personne, comme Human Rights Watch[1] et Amnistie internationale[2], ont lancé un appel pour placer le respect des droits humains au centre des mesures de confinement prises par les gouvernements. Des experts de l’ONU ont « exhort[é] les États à ne pas adopter de mesures de protection excessives en réponse à la pandémie de coronavirus et leur ont rappelé que les pouvoirs d’urgence ne doivent pas servir à faire taire l’opposition[3]. »

Si des organisations ressentent le besoin de faire de telles mises en garde, c’est que la situation est parfois préoccupante. Certains gouvernements profitent de la situation pour resserrer les libertés individuelles, s’en prendre à la liberté de presse ou prendre des décisions allant à l’encontre des droits et de la justice. En Hongrie, qui a glissé de 16 places dans le classement de Reporters sans frontière publié en avril 2020, le premier ministre Orbán a promulgué une « loi d’urgence Coronavirus », en vertu de laquelle le gouvernement pourra « décider arbitrairement si une information est vraie ou fausse[4]. »  En Tunisie, les autorités ont engagé des poursuites contre deux blogueurs qui avaient critiqué la manière dont le gouvernement gère la pandémie[5]. En Russie,le président tchétchène Ramzan Kadyrov « a publié sur Instagram une vidéo dans laquelle il menaçait de mort » la journaliste Elena Milachina, qui a publié un article sur la pandémie en Tchétchénie[6]. Au Chili, le 12 avril, « prétextant les considérations humanitaires liées à la pandémie, la Cour d’appel de Santiago a […] décidé de libérer 17 militaires de haut rang et membres de l’ancienne direction des services d’intelligence de la dictature (DINA) ayant commis des crimes contre l’humanité[7]. » Aux Philippines, dans une allocution télévisée, le président Duterte a donné l’ordre aux policiers et aux militaires d’abattre quiconque causerait des « troubles » durant la pandémie[8].

Deux inquiétudes devraient cependant être partagées par tous les États : elles concernent les femmes et la surveillance électronique. Amnistie internationale explique que, en vertu du droit international, « les gouvernements doivent pouvoir démontrer que les mesures mises en place entrent dans le cadre de la loi, qu’elles sont nécessaires, proportionnées et temporaires et que leur mise en place se fait dans la transparence et avec un suivi adapté[9]. » Il faut être très prudents dans la mise en place de ces mesures, et, surtout, s’assurer qu’elles ne demeurent pas une fois la crise passée.

Un autre point commun à tous les États : les femmes se retrouvent au cœur de situations précaires exacerbées par la pandémie. Partout, les femmes sont plus nombreuses à être aux premières loges pour combattre l’épidémie. Selon l’Organisation mondiale de la santé, elles constituent environ 70 % du personnel de la santé à travers le monde (infirmières, préposées aux bénéficiaires…)[10]. Les femmes sont également plus nombreuses à avoir perdu leur emploi dans le cadre de la crise, comme nous le soulignait Françoise David dernièrement[11].

Mais en plus d’être fragilisées par les rôles qu’elles jouent traditionnellement dans la société, les femmes le sont aussi par le fait que les gouvernements ne mettent pas de mesures en place pour protéger leurs droits. La revue scientifique médicale The Lancet nous rappelle que lorsque les ressources médicales sont dirigées en priorité vers une pandémie, les droits sexuels et reproductifs sont les premiers à en souffrir[12]. Plus tôt en avril, le Parlement polonais a mis sur la table deux projets de lois visant à interdire l’accès à l’avortement, à criminaliser l’éducation sexuelle et à assimiler l’homosexualité à la pédophilie[13]. Les parlementaires ont finalement décidé de ne pas relancer ces débats; les manifestations de femmes qui ont bravé la loi sur le confinement ne sont pas étrangères à cette décision, et démontrent l’importance de toujours rester vigilants pour protéger les droits fondamentaux, jamais définitivement acquis.

 

Crédits photo : Jakub Kaczmarczyk /EPA/EFE. Protesters hold placards and wear face masks broaching the issue of Poland’s restrictive abortion ban and penalties for sex education during a so called ‘Black Protest’ in Poznan, Poland, 14 April 2020.

Webographie :

[1] https://www.hrw.org/fr/news/2020/03/19/covid-19-dimensions-des-droits-humains-dans-les-reponses-gouvernementales

[2] https://amnistie.ca/sinformer/communiques/local/2020/canada/un-appel-pour-une-surveillance-droits-humains-reponses

[3] https://www.ohchr.org/fr/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=25722&LangID=f

[4] https://rsf.org/fr/actualites/le-classement-au-temps-du-coronavirus

[5] https://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2020/tunisie/halte-poursuites-contre-personnes-qui-critiquent

[6] https://amnistie.ca/simpliquer/actions/reseau-actions-urgentes/federation-russie-une-journaliste-en-danger-apres-menaces

[7] https://plus.lapresse.ca/screens/ffe1a27e-15d6-4321-ab8e-66c9054fb797__7C___0.html?utm_medium=Yahoo%20Mail&utm_campaign=Internal%2BShare&utm_content=Screen

[8] https://e-activist.com/page/message?mid=d4ad9c71a0c5487b8fdc96f21021558e

[9] https://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2020/international/covid-19-surveillance-numerique-danger-quils

[10]https://apps.who.int/iris/bitstream/handle/10665/311385/WHO-HIS-HWF-Gender-WP1-2019.1-fre.pdf?ua=1

[11] https://ici.radio-canada.ca/premiere/emissions/le-15-18/segments/entrevue/165242/covid-19-chomage-travail

[12] https://www.thelancet.com/journals/langlo/article/PIIS2214-109X(20)30190-X/fulltext

[13] https://amnistie.ca/sinformer/communiques/international/2020/pologne/projets-loi-interdisant-lavortement-restreignant