L’enseignement à distance en période de pandémie

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Le SPPTU souhaite réagir aux divers messages circulant en ce moment dans les médias au sujet de la formation à distance dans les établissements d’enseignement supérieur.

Dans le contexte de fermeture des établissements d’enseignement supérieur en raison de la crise sanitaire qui sévit présentement, les enseignant.e.s sont appelé.e.s à transformer rapidement les cours dispensés en présence en cours dispensés en ligne. L’enseignement en ligne, synchrone ou asynchrone, s’impose aujourd’hui comme une solution d’urgence permettant aux universités de répondre aux besoins des étudiant.e.s.

Nous saluons les professeur.e.s et les chargé.e.s de cours qui relèvent, en ce moment même, les défis pédagogiques et technologiques de l’adaptation de leurs cours à la diffusion  en ligne, alors qu’elles et ils se trouvent, au même titre que leurs étudiant.e.s, dans une situation de quarantaine nécessitant de concilier le travail et la vie familiale.

Nous prenons la parole, car les professeur.e.s que nous représentons travaillent pour cette institution universitaire qui est la seule à offrir tous ses cours à distance au Québec, et ce, depuis 1972. L’expertise que nous avons acquise en enseignement à distance nous incite à attirer l’attention de la communauté universitaire, du public et du ministère responsable de l’enseignement supérieur sur certains aspects de la réalisation de ce mode d’enseignement.

Dans la situation actuelle, l’enseignement à distance peut-il remplacer l’enseignement sur le campus ?

Toutes les  universités québécoises ayant développé une offre de cours à distance sont aujourd’hui capables d’offrir une partie de leur enseignement en ligne. C’est donc une solution « clés en main » facilitant la poursuite des études pour une partie des étudiant.e.s.

Cependant, on fait fausse route lorsqu’on propose de remplacer, au pied levé, l’enseignement dans les campus par des cours en ligne. À entendre certains commentaires dans les universités et les médias, il suffirait aux enseignant.e.s de « mettre leur contenu en ligne », au moyen d’un système de visioconférence, de diffuser en ligne leurs présentations du type « PowerPoint » préalablement composées, d’envoyer le matériel du cours (notes, lectures, diaporama, exercices) par courriel ou de les déposer sur une plateforme de diffusion disponible dans leur établissement, pour mettre en place la formation à distance en bonne et due forme. Proposer de remplacer l’enseignement en présentiel par l’enseignement à distance en « un claquement de doigts », c’est répandre une conception fausse du travail d’enseignement en général, et de l’enseignement à distance en particulier.  Nous le percevons comme un mépris pour tous les enseignant.e.s, en présence, comme à distance. C’est aussi méconnaître les spécificités de l’enseignement à distance, notamment ses aspects pédagogiques, organisationnels et juridiques.

L’enseignement à distance, un mode d’enseignement spécifique

L’enseignement à distance implique une réflexion et un travail pédagogique concernant la conception d’une situation d’apprentissage très différente de la situation en présence. En effet, la distance dans l’espace et/ou dans le temps conduit à  repenser la façon de présenter le contenu, de rendre l’étudiant.e actif.ve, de prévoir des travaux signifiants, de soutenir les étudiant.e.s dans leur cheminement et d’évaluer leurs apprentissages.

C’est notamment le cas de l’enseignement asynchrone, qui implique la distance à la fois dans le temps et dans l’espace. Pour concevoir un cours asynchrone de qualité, on ne peut faire l’économie du temps nécessaire pour analyser les besoins d’apprentissage, organiser le contenu d’enseignement, planifier les activités d’apprentissage et d’évaluation, produire les ressources médiatiques intéressantes, etc.

À la TÉLUQ, lorsqu’un.e professeur.e se voit confier la responsabilité d’un cours en ligne asynchrone, il peut réaliser ces différentes activités de façon plus ou moins autonome, mais dans tous les cas, il ou elle bénéficie des ressources technologiques et de la collaboration d’un soutien technique et pédagogique pour concevoir le matériel et la démarche pédagogique répondant aux besoins des étudiants.

De façon semblable, l’encadrement pédagogique et l’évaluation des apprentissages dans les cours asynchrones exigent des enseignant.e.s un investissement temporel et une organisation de travail spécifiques. En effet, les étudiante.e.s peuvent être plus ou moins préparé.e.s à ce mode d’apprentissage. Il appartient aux enseignant.e.s de trouver des moyens pour les aider à cheminer de façon satisfaisante. Pour cela, ils et elles doivent développer des compétences en encadrement à distance adaptées aux caractéristiques de leurs étudiant.e.s.

En diffusant en ligne « tel quel » le contenu de leurs cours prévus pour une prestation interactive en classe, les enseignant.e.s risquent d’avoir à consacrer beaucoup de temps supplémentaire pour répondre aux questions sur le contenu ou les travaux à réaliser. Ils et elles se retrouveront aussi en première ligne pour rassurer les étudiant.e.s et gérer divers problèmes organisationnels ou techniques qui leur seront soumis.

De plus, la prestation d’un cours en ligne engendre la mise en place des mesures de protection de la propriété intellectuelle et du droit d’auteur des enseignants concepteurs de cours. Il est par conséquent important que tout document qui serait mis en ligne sur les plateformes des universités soit dûment crédité au profit de leurs créateurs et que leurs droits d’auteur soient entièrement reconnus.

Bénéficiant de leur longue expérience d’enseignement à distance, les professeur.e.s de TÉLUQ ont pu prévoir, dans leurs conventions collectives, des clauses relatives à l’organisation du travail, des mesures d’encadrement de la propriété intellectuelle et des dispositions relatives au bon emploi des outils technologiques. Ce n’est probablement pas le cas des professeur.e.s et des chargé.e.s de cours  des autres universités qui sont appelé.e.s à passer en mode « distance » en raison de la crise sanitaire actuelle. Des actions précipitées de la part des directions des universités dans le but d’élargir une offre de cours en ligne pourraient entraîner une détérioration des conditions de travail chez le personnel enseignant.

Dans la situation d’urgence qui prévaut aujourd’hui, il sera difficile, voire impossible de mettre en place ces bonnes pratiques de conception et d’encadrement techno-pédagogiques pour l’ensemble des enseignants, surtout si les directions universitaires décidaient unilatéralement d’imposer des cours en ligne pour cette fin de session. Une telle décision comporterait de nombreux enjeux pédagogiques et légaux, et contreviendrait aux conventions collectives en vigueur et au principe de liberté académique des professeur.e.s, qui doivent pouvoir choisir les modes de prestation de leur enseignement.

L’enseignement à distance et la conciliation travail-famille

L’enseignement à distance peut aussi être considéré comme une mesure de télétravail pour les enseignant.e.s, comme pour d’autres employé.e.s universitaires.

En ce moment de crise sanitaire, le télétravail est certainement une bonne mesure, mais comme en tout temps, cela ne signifie pas qu’il est facile de travailler à distance tout en s’occupant des enfants.

Selon notre collègue Diane-Gabrielle Tremblay, qui vient de mettre ses travaux à jour sur le sujet dans le livre Conciliation emploi-famille et temps sociaux aux Presses de l’Université du Québec (2019) :

Le télétravail est une bonne mesure en ces moments de coronavirus, mais comme en tout temps, la conciliation travail-famille ne signifie pas qu’il est facile de s’occuper des enfants tout en travaillant, tout dépendant de leur âge et de leur degré d’autonomie. En général, le télétravail facilite la conciliation travail-famille parce qu’il réduit le temps de déplacement au bureau, surtout pour les personnes ayant des temps de déplacement longs, depuis la banlieue par exemple. La grande majorité des employeurs vont exiger qu’il n’y ait pas présence de jeunes enfants ou d’enfants non autonomes lorsqu’une personne fait du télétravail. Puisque les services de garde sont fermés en ce moment, on ne peut pas s’attendre à ce que tous les salariés puissent faire le même travail qu’au bureau. Cela dépend essentiellement de la disponibilité des technologies et de la situation familiale.

Dans le contexte actuel, les décisions et les actions prises par les universités doivent le plus possible tenir compte des conditions indispensables pour assurer un enseignement à distance de qualité et des effets de cette crise sur la vie privée des enseignant.e.s., des autres employé.e.s et des étudiant.e.s.