Entrevue avec Nicolas Bélanger, professeur au Département Science et Technologie.
Quels seront les impacts des changements climatiques sur la forêt ? Comment peut-on aménager la forêt de façon à la rendre plus résiliente ? Devrait-on favoriser la régénération de l’érable à sucre au Nord de sa distribution actuelle ? Voilà le genre de questions auxquelles tente de répondre le professeur Nicolas Bélanger, membre du SPPTU, pour qui la forêt est non seulement un terrain de recherche, mais une véritable passion. Originaire de Maniwaki, il n’est pas surprenant que Nicolas Bélanger s’intéresse aujourd’hui aux forêts : « Quand j’étais jeune, mon père m’amenait à la chasse et à la pêche. Mes parents sont originaires d’Abitibi et, je passais mes étés là-bas, avec mon grand-père. J’ai grandi avec la forêt ».
De la géographie physique à l’étude des forêts
Curieux de nature, c’est au baccalauréat, alors qu’il poursuit des études en géographie physique et en sciences de l’environnement à l’UQÀM que Nicolas Bélanger se découvre un réel intérêt scientifique pour les sciences du sol. Cela le conduira à la maîtrise en environnement, où il étudiera plus particulièrement l’hydrologie forestière. Il poursuivra ensuite ses études au doctorat, en sciences des ressources naturelles, à l’Université McGill. C’est alors qu’il se joint au Centre d’étude de la forêt (à l’époque le Groupe de recherche en écologie forestière interuniversitaire) avec qui il collabore toujours aujourd’hui. Une fois ses études doctorales terminées, Nicolas Bélanger effectue un postdoctorat au Service canadien des forêts. « Après mon postdoctorat, je suis allé enseigner au Département des sciences du sol de l’Université de la Saskatchewan pendant cinq ans. Toutefois, le désir de revenir au Québec et de travailler à nouveau avec les membres de mon groupe de recherche au Centre d’étude de la forêt – avec qui j’avais développé de très belles collaborations – a été plus fort que moi. Ce sont des chercheurs dans le sang. Des gens qui ont le sort de nos forêts à cœur ». Nicolas Bélanger est donc revenu à Montréal pour œuvrer, notamment, sur la résilience des forêts dans le contexte d’un climat changeant. L’une des questions de fond qui l’habitent : « Comment mieux adapter la forêt ?»
Qu’est-ce que ça veut dire, concrètement, mieux adapter la forêt ?
« La forêt couvre plus de 60 % du territoire québécois et constitue un habitat privilégié pour la très grande majorité des organismes vivants que l’on retrouve au Québec. Elle fournit aussi de nombreux services écologiques, sociaux et économiques inestimables pour le Québec. Cependant, cette forêt est affectée par des changements du climat qui risquent de la fragiliser ». Le professeur Bélanger explique que lorsque l’on parle d’adaptation, l’on peut se questionner, par exemple sur la composition des espèces actuelles : « Veut-on maintenir la composition en espèces, telle qu’on la retrouve présentement, ou veut-on permettre à la forêt d’évoluer sous la nouvelle enveloppe climatique qui s’installe progressivement ? Est-ce que l’on souhaite favoriser des aménagements qui permettront à la forêt du Sud, par exemple, de migrer vers le Nord, dans la forêt boréale, pour retrouver une enveloppe climatique qui ressemble à celle que l’on voit actuellement dans le Sud? Autrement dit, est-ce que l’on veut aménager la forêt pour lui permettre de maintenir sa distribution ou bien de transiter? Dans les deux cas, comment doit-on s’y prendre ? Faut-il planter l’érable sous des couverts forestiers spécifiques ? Faut-il fertiliser les sols ? Faut-il procéder à des éclaircies pour offrir plus de lumière aux jeunes érables? En ce moment, l’érable éprouve des difficultés de régénération dans le Sud du Québec », explique Nicolas Bélanger. On l’aura deviné, le professeur et chercheur travaille beaucoup sur cette espèce emblématique qui s’avère aussi commercialement importante pour le Québec.
Un travail de recherche sur le terrain
Étudier la forêt implique forcément d’y passer beaucoup de temps. Dès la fin avril, l’équipe de recherche de Nicolas Bélanger peut donc s’y aventurer. Les travaux ne se termineront qu’une fois la première neige tombée. « Je travaille beaucoup à St-Hyppolyte, dans le Nord de Montréal, à la station de biologie des Laurentides. On y a installé beaucoup d’équipement pour y effectuer nos recherches », explique Nicolas Bélanger.
Une première subvention de 750 000 $ obtenue via la TÉLUQ a permis la mise en place de dispositifs visant à électrifier la forêt, ce qui permet d’effectuer différents tests, notamment la simulation du réchauffement du sol. « Nous mesurons toutes sortes de variables écologiques, comme la disponibilité des nutriments, la température, l’humidité du sol, la production racinaire, etc. Nous étudions aussi comment la phénologie des arbres évolue sous les changements climatiques, par exemple l’aoûtement et le débourrement, c’est-à-dire les moments où la lignification des jeunes rameaux se fait à l’automne et les bourgeons laissent apparaitre les jeunes feuilles au printemps, respectivement. Nous étudions aussi les flux gazeux. Nous nous intéressons à la dynamique du carbone dans le sol, parce que nous croyons qu’à moyen terme, s’il y a un réchauffement du sol, une partie du carbone qui est immobilisé en ce moment dans l’humus pourrait être émis dans l’atmosphère sous forme de CO2 par la respiration microbienne. Le cas échéant, cela pourrait être une très mauvaise nouvelle, car il pourrait y avoir une rétroaction positive.
Une rétroaction positive ?
Une rétroaction positive, ou pour reprendre les termes de Nicolas Bélanger, un « effet d’emballement ». Dans une telle situation, « on rentrerait dans une boucle de rétroaction où le CO2 atmosphérique augmente, le réchauffement de l’air augmente, le CO2 atmosphérique augmente, et ainsi de suite. Évidemment, il s’agit d’une hypothèse, et c’est pour cette raison que nous simulons le réchauffement du sol avec des câbles chauffants et comparons les flux gazeux entre les sols réchauffés et les témoins. »
L’utilisation d’équipement sophistiqué
Pour effectuer tous ces tests et conduire ses recherches, l’équipe utilise notamment des drones et des caméras multispectrales et thermiques pour récolter différentes données. Ces équipements sont notamment utilisés pour développer des indicateurs de la santé de la forêt. Le drone, muni d’une caméra thermique, permet d’évaluer la température de la canopée. « La température des feuilles est fortement corrélé à la quantité d’eau que contiennent les feuilles. Si, par exemple, une feuille contient peu d’eau, sa température sera plus élevée, ce qui peut indiquer un stress physiologique. Cela pourrait indiquer un déficit hydrique dans les sols et que les racines ne sont pas en mesure de prélever facilement l’eau. Avec les changements climatiques, on pense que les déficits hydriques seront de plus en plus fréquents dans le Sud du Québec. Évidemment, les stress physiologiques peuvent aussi survenir pour d’autres raisons comme des maladies, des pourritures de racines, des insectes, etc. » Avec ses drones, l’équipe survolera la forêt de façon quotidienne afin de faire un suivi de la température, mais là n’est pas leur seule utilité.
L’imagerie par drone est aussi utilisée pour évaluer les concentrations en azote dans les feuilles. « Nous utilisons donc aussi des caméras multispectrales pour évaluer les concentrations d’azote dans les feuilles. Il y a une forte corrélation entre la réflectance des feuilles dans le proche infrarouge et les concentrations en azote foliaire. Étant donné que l’azote est important pour la croissance des arbres, il faut mesurer cette variable. Les drones nous permettent de le faire à l’échelle du peuplement, plutôt que de se contenter d’un échantillonnage par pied d’arbre ».
Et quand il n’est pas en forêt…
Nicolas Bélanger est toutefois loin de passer tout son temps en forêt ! Il est responsable de cours de 1er et de 2e cycle en environnement, au département Science et Technologie. Selon lui, l’un des avantages de la TÉLUQ est de lui offrir une flexibilité quant à la gestion de son horaire. Ainsi, il peut distribuer adéquatement ses efforts entre la recherche et l’enseignement. « Lorsque tu es discipliné et que tu es capable de bien gérer ton temps, cela peut devenir un gros avantage! Cela dit, j’ai une bonne équipe de recherche. Il peut m’arriver de passer le mois de juillet à écrire deux modules de cours plutôt que d’étudier la forêt ! Je n’ai pas toujours besoin d’intervenir et d’être sur place! ».
Un laboratoire de recherche
Cette année toutefois sera un peu particulière. Nicolas Bélanger a pris un congé sabbatique qui lui permettra notamment de développer un laboratoire de recherche au sein des murs de la TÉLUQ. « J’ai maintenant un laboratoire qui peut desservir les besoins de mes étudiants et de mes collègues et qui augmente beaucoup ma capacité en tant que chercheur. C’est un laboratoire de chimie analytique. Il sera terminé d’ici décembre 2018. ». Ce laboratoire a notamment pu voir le jour grâce à l’obtention d’une demande de subvention pan-canadienne pour le réseau Smart Forest. Une enveloppe de 950 000 $ a été accordée à la TÉLUQ, notamment pour développer le laboratoire. Il partage aussi d’autres espaces avec Daniel Lemire et Élise Filotas, également professeurs au Département Science et Technologie, dans lesquels ils accueilleront bientôt une dizaine d’étudiants qui pourront se côtoyer chaque jour et partager leurs connaissances et expériences. « Nous pensions qu’il était important de dégager ces espaces pour nos étudiants et nos stagiaires, car nous collaborons beaucoup ensemble et il y a une plus-value énorme de créer un environnement de travail commun qui s’avère de plus motivant et convivial », explique Nicolas Bélanger.
Curieux d’en savoir plus?
Outre les projets mentionnés dans cet article, Nicolas Bélanger travaille sur des projets de recherche en lien avec la foresterie intensive et la fertilisation ainsi que sur la restauration écologique des mines. Force est d’admettre que Nicolas Bélanger est un excellent ambassadeur de la forêt québécoise : il en parle avec une ferveur contagieuse ! Curieux d’en apprendre davantage? Nous vous invitons à consulter sa page de membre régulier du Centre d’étude de la forêt.