Projet de loi 32 sur la liberté académique à l’université : Des amendements sont nécessaires pour protéger adéquatement le travail des universitaires

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Le SPPTU accueille le projet de loi 32 présenté par la ministre Danielle McCann le 6 avril dernier avec ouverture, mais tient à faire état de quelques inquiétudes.

Par son libellé, le projet de loi 32 reconnaît la liberté académique tant dans la recherche et la création, que dans l’enseignement et les services à la collectivité. Cette affirmation du projet de loi est un pas en avant. Cependant, nous avons quelques questionnements en ce qui concerne les articles 2, 3, 4 et 6.

L’article 2 stipule que la liberté académique se limite aux universités, sans cependant faire explicitement référence au terme de professeur.e. L’article 3 parle plutôt de « personnes ». En nous référant au préambule de la loi, ainsi qu’aux articles 2 et 3, il est possible de penser que cette loi s’applique tant aux professeur.es qu’aux chargé.es de cours, ou chez nous à la Téluq, aux personnes tutrices et aux chargé.es d’encadrement. En ce sens, il serait préférable de clarifier le libellé, comme le propose l’article 3 du mémoire de la FQPPU présenté à la Commission Cloutier. Cet article mentionne que « Les membres du personnel enseignant et de recherche des universités sont titulaires de la liberté académique » (FQPPU, 2021, p. 22). Cette formulation a le mérite d’être plus claire et de ne pas entrainer d’ambiguïté.

À l’alinéa 3 de l’article 3 du projet de loi 32, on lit que la liberté académique « comprend le droit de critiquer la société, des institutions, des doctrines, des dogmes et des opinions ». Si nous comprenons bien, le terme « institutions » (au pluriel) permet d’inclure les universités et autorise ainsi le droit de critiquer sa propre institution. Précisons que le mot « institutions » (au pluriel) est défini, dans le dictionnaire Le Robert, comme « l’ensemble des formes ou organisations sociales établies par la loi ou la coutume ». À notre avis, il serait préférable d’inclure plus spécifiquement ce droit à la critique dans le projet de loi, comme le propose d’ailleurs le point 4 à l’alinéa 3 du mémoire de la FQPPU : « le droit d’exprimer, tant au sein de l’établissement que sur la place publique, son opinion sur l’établissement et le système au sein duquel il travaille et le droit de ne pas être soumis à la censure institutionnelle » (p. 22). Une spécification à cet égard est d’autant plus importante que le fonctionnement universitaire s’appuie sur une gestion collégiale, dont les professeur.es représentent la pierre angulaire. L’intégration d’un tel libellé serait en concordance avec les articles prévus en ce sens dans les conventions collectives du milieu universitaire, dont la plupart intègrent déjà des définitions de la notion de la liberté académique. Ces définitions ne limitent pas la liberté académique au domaine d’activité ou d’expertise du professeur ou de la professeure. Cet aspect est très important à nos yeux et nous souhaitons savoir si la définition retenue par le législateur permet d’inclure les définitions conventionnées de la liberté académique.

L’article 4 du projet de loi 32 oblige les universités à adopter une politique sur la liberté académique, de créer un conseil pour surveiller l’application de la politique, de mettre en place des outils de sensibilisation et de promotion de la liberté académique. Il est à noter que la composition du conseil que les universités devront mettre en place pour traiter les plaintes n’est pas encadrée dans la loi, de sorte que ce sont les directions des universités qui auront le pouvoir de déterminer la composition du conseil. Cet aspect nous inquiète tout particulièrement puisque nous avons déjà des difficultés à faire respecter la collégialité enchâssé par la loi constituante du réseau de l’Université du Québec. Ainsi, plusieurs questions peuvent être soulevées sur le mécanisme de traitement des plaintes : dans quel contexte un professeur sera-t-il amené à déposer une plainte pour atteinte à sa liberté académique, contre qui et sur quelle base? Comment un conseil mis sur pied par l’employeur pourra-t-il intervenir pour protéger efficacement la liberté académique d’un.e professeur.e face à l’employeur? Il faut, à notre avis, éviter que la formation du conseil se traduise par la formation d’une instance interne à laquelle tout le monde pourra s’adresser pour dénoncer des comportements jugés inappropriés. Si c’est le cas, cela risque d’amener les professeurs à devoir défendre leurs pratiques devant une nouvelle instance interne qui pourra être interpellée pour toutes sortes de raisons et qui décidera de ce qui est couvert par la liberté académique et de ce qui ne l’est pas. Si tel est l’effet de l’article 4, alors on peut penser que la loi n’arrivera pas à protéger véritablement la liberté académique.

En ce sens, nous sommes en accord avec les recommandations de la FQPPU visant à s’assurer que les employeurs universitaires ne puissent subordonner la liberté académique des professeur.es au devoir de loyauté à l’égard de leur établissement. Ces recommandations visent aussi à s’assurer que les universités soient tenues de prendre fait et cause pour défendre les professeurs qui seraient l’objet de poursuite en raison de l’exercice de leur liberté académique.

Finalement, l’article 6 du projet de loi 32 donne le pouvoir au ministre d’ordonner à un établissement d’intégrer dans sa politique « tout élément qu’il indique » lorsqu’il estime nécessaire de le faire pour protéger la liberté académique. Cet élément nous inquiète, car on comprend ici que la loi donne un pouvoir au gouvernement de dicter aux universités, et donc aux professeurs, de quelle façon la liberté académique doit être promue et défendue.
Les questions que nous soulevons méritent un examen approfondi. Nous espérons que les consultations prévues sur ce projet de loi permettront d’y réfléchir et de proposer des amendements suffisants pour clarifier et améliorer les conditions de l’exercice de la liberté académique, inhérente à notre profession.